[Témoignage] Jean-Pierre : "C'est possible et je le fais"

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Aujourd'hui, Journée Internationale des personnes handicapées, vont être publiés quelques témoignages qui exprimeront le vécu quotidien du handicap face au Web.

Le premier témoignage est celui de Jean-Pierre Villain, concepteur web, formateur Accessiweb et membre du forum Alsacréations...

1999, je suis développeur web, expert en tableaux imbriqués, convaincu que flash va tuer le Html, que le progrès s'appelle IE, Dreamweaver et le Wysiwyg. Je n'ai même pas idée qu'un handicapé puisse se servir d'internet, je suis surtout préoccupé par mes fiches de paye et la qualité de mes costumes, intoxiqué comme tant d'autres par le cancer de la bulle...

Début 2000 une rencontre va balayer toutes mes certitudes, elle se prénomme Rose, elle est américaine et tétraplégique de naissance, elle s'est inscrite à un club de joueur que nous avons créé autour d'un jeu online de simulation de voile. Ca nous paraît à tous incroyable mais Rose arrive à jouer avec son head-stick, elle devient vite la « mascotte » du groupe et j'entretiens avec elle des relations amicales au travers de MSN.

Rose est un personnage extraordinaire dotée d'une volonté inoxydable, diplomée d'un master de communication elle vit des maigres subsides du système d'aide sociale fédéral et écrit de temps à autres des articles dans le journal local, son rêve est de trouver un vrai travail...

Nous avons pu la rencontrer en vrai à l'occasion d'un voyage parisien, financé par les membres du club, ce qui nous à permis de mesurer les immenses difficultés liées à son handicap qui requiert l'attention permanente d'une tierce personne, en l'occurence sa maman qui lui voue son existence.

Quelques temps plus tard Rose m'annonce très exitée qu'elle à enfin trouvé : elle va s'occuper de gérer et de répondre aux emails d'une société spécialisée dans l'accessibilité. C'est la première fois que j'entends parler d'accessibilité mais je n'y prête aucune attention.

Je suis très heureux pour Rose qui m'a abondemment expliqué, sans fard, les sombres perspectives d'avenir que lui réservait le système d'aide américain pour le jour où sa mère n'aurait plus la force de s'en occuper.

Le temps passe, Rose se fait plus rare dans nos régates endiablées, elle paraît étrangement absente lors de nos rares séance de chat, je m'inquiète un peu, j'imagine qu'il lui faut un certain temps d'adaptation pour son « nouveau travail »...

Après une absence plus longue que d'habitude, presque deux semaines, Rose me rejoint un soir sur MSN, je la questionne, je m'étonne de son absence, elle est particulièrement lente à répondre, signe d'une grande fatigue, comme cela pouvait lui arriver parfois quand nos discussions trainaient jusqu'à l'aube du jour.

Nous discutons du « job de sa vie » : elle m'explique travailler avec outlook et que le nombre de manipulation nécessaires pour ouvrir un email, gérer les contacts et répondre est tellement important qu'elle ne parvient pas à suivre le rythme.

Les retards s'accumulent, l'oblige à travailler plus de 18 heures par jour : elle n'en peux plus et se sent totalement épuisée.

Je lui propose d'essayer un webmail, plus simple à utiliser que l'usine à gaz outlook mais c'est très insuffisant, l'essentiel des problèmes demeurent et son moral est de plus en plus bas, au point qu'elle ne voit comme seule perspective que d'abandonner le job, ce qui achève de la désespérer.

Je décide alors de prendre le problème à bras le corps je lui demande de patienter que je vais bien trouver une solution.

Elle me fait alors une réponse, toute simple, qui va changer ma vie, elle me dit « Mais Jean-Pierre, si c'était possible, ils l'auraient déjà fait ».

Je tape « accessibilité web » sur Google...

Quelques jours plus tard je ne suis plus tout à fait le même homme, je découvre le W3C, WAI, les WCAG qui fêtent leur premier anniversaire, les « standards du web », je réalise l'immense potentiel que pourrait représenter le web pour des gens comme Rose....

Je découvre que « c'est possible », je comprends la formidable injustice qui se cache derrière les sites que je produis, tous affublés d'un méchant panneaux « allez vous faire foutre » à destination de ceux qui en ont le plus besoin.

Je suis choqué et décontenancé, je ne comprends pas comment je suis passé à coté de ça, que personne ne m'ait prévenu... J'arrête mon job et je passe de longs mois enfermé chez moi à tout lire, à tout réapprendre d'un métier auquel je croyais tout connaître. Je n'y connaissais rien...

Six années ont passées, Rose va très bien, à force de courage et de volonté elle est devenue responsable de la communication de Tecaccess, l'entreprise leader de l'accessibilité du Web aux Etats-Unis.

Je n'ai pas pu l'aider comme je l'aurais souhaité, c'est elle, au contraire, qui m'a aidé en me permettant de travailler plusieurs années pour cette même société, à apprendre un nouveau métier, passionnant et exhaltant : rendre meilleur une petite partie du monde.

Six années ont passé, nous sommes le 3 décembre 2006 et malgré le colossal travail de sensibilisation, les choses n'avancent que lentement, des lois sont votées, des initiatives se développent mais ça ne suffit pas, ça ne suffira pas...

Il y à des milliers de Rose qui, tous les jours, se disent : « Si c'était possible, ils l'auraient déjà fait » et c'est à chacun de nous de pouvoir répondre en écho : « C'est possible et je le fais », il n'y a que comme ça que ça peut marcher, il en va de sa responsabilité d'homme, de son humanité, de la simple bonne volonté...

Alors, en ce dimanche 3 décembre 2006, journée internationale de la personne handicapée, prenez un peu de temps pour y penser et pour paraphraser notre bon roi Arthur du haut de ses remparts de Kaamelott : « Sortez vous les doigts ... ! ».